mercredi 1 janvier 2020

Miossec : Une bonne carcasse par Thierry Jourdain (NicoTag)



Ça commence par une photo. Le visage de Miossec très proche, sans fard, humble, comme ses chansons. Jérôme Servette en est l'auteur.
Thierry Jourdain construit son livre simplement. Un album par chapitre, complété par une vingtaine de pages en guise d'introduction. Le livre est nourri d'extraits plus ou moins long d'entretiens avec Miossec, parfois avec des gens qui l'ont cotoyés, musiciens, producteurs, etc
Avant ces pages, l'auteur a choisi de mettre en exergue un bout de phrase d'Henri Calet. Pour qui connait un peu les livres, Monsieur Paul, Le Bouquet, ces recueils de reportages, de cet écrivain du milieu du XXème siècle, le lien avec Miossec coule de source. Ils sont de la même pâte sensible. Ancrés dans une réalité sociale, populaire, à hauteur d'hommes. Je les ai découverts en même temps, l'un avec Boire, l'autre avec Contre l'oubli, en 1995. Si j'ai mis un peu de côté Calet après l'avoir lu assidument,  les chansons de Miossec m'accompagnent encore.

La très utile introduction nous présente Christophe Miossec, le gars avant Boire. La famille, les voyages avec, puis les voyages sans. Printemps Noir, le premier groupe, à 15 ans, couronné par un passage aux Enfants Du Rock en 1983, après avoir tourner avec Orchestre Rouge, Kas Product. Les études, les piges pour Ouest-France à Pontivy d'abord, à Brest plus tard. La musique est toujours là, mais différemment, Miossec est roadie sur des festivals. Puis les passages chez Gallimard, TF1, le départ à La Réunion comme journaliste et les premières compositions.
Dès son retour à Brest, il compose, durement, laborieusement dans sa chambre d'enfant, comme Dominique A et Philippe Katerine avant lui, rencontre Guillaume Jouan, puis Bruno Leroux. Une cassette de démos arrive dans les mains de Jean-Daniel Beauvallet des Inrockuptibles. Grâce à lui les premiers concerts, la signature chez PIAS, on arrive au premier chapitre du livre : Boire.

Les chapitres ont tous une trame plus ou moins commune. Le sujet principal en est l'album, avec un peu d'analyse musicale, les conditions d'enregistrements, les tournées. Puis les à-côtés, la vie privée seulement si nécessaire et évasivement, les collaborations et les commandes (jamais de propositions) de textes  par d'autres artistes.
Cela dit les chapitres sont différents car Miossec évolue. Boire est le premier, l'album ressemble à la maquette, la tournée est enjouée et catastrophique, trop peu de matières pour jouer sur scène plus de trente minutes. Le concert à la Cigale en 1995 était terrible, trop saouls, ils ont finis par reprendre plusieurs fois les mêmes titres, mais quel souvenir !
Le succès est au rendez-vous, l'album avec la photo prise par Richard Dumas, qui deviendra un fidèle, se vend à plus de cent mille exemplaires, la reconnaissance est d'abord critique et très vite publique.
Pour l'album Baiser, le deuxième, les compositions et l'enregistrement se sont faits rapidement, toujours avec une grande économie de moyens, une sobriété musicale, finissant la tournée Boire, avec le départ de Bruno Leroux, pour en entamer une autre avec l'arrivée du multi-instrumentiste Oliver Mellano. A nouveau un succès.
La déception arrive en 1998 avec A prendre, renié à peine né. La musique est plus riche, mais bourrée de clichés des deux premiers albums. Le départ de Guillaume Jouan, prévu depuis Boire, est anticipé. Le salut pointe son nez de l'extérieur, deux artistes de renom lui commandent des textes : Jane Birkin, et Johnny Halliday, début d'une longue collaboration qui lui fournira des droits suffisants pour faire ce qu'il veut. A cette période il multiplie également les participations, avec Yann Tiersen entre autres, et les hommages partagés, Gainsbourg et Brassens par exemple.

A partir de Brûle, Miossec change régulièrement de musiciens, de producteurs, au gré des rencontres, des présentations, des recommandations.
Ce que montre très bien Thierry Jourdain, c'est le Miossec travailleur, très professionnel, surtout après le médiocre A prendre.
Les méthodes de travail évoluent, changent mais la musique reste simple et efficace, à l'exception de 1964. En effet, plusieurs titres découlent indirectement d'une commande de l'Orchestre Des Pays De La Loire, c'est pourquoi il paraît grandiloquent.
L'auteur analyse brièvement l'écriture des textes, Miossec est prolixe en commentaires sur les provenances de ses textes, ses emprunts parfois étonnants : «Tout brille, tout brûle mais rien ne brûle» est extrait de «La fille aux yeux d'or  » de Balzac, cité dans Libération par Philippe Lançon.
"Ainsi soit-elle" est l'adaptation musicale d'un poème du trop méconnu Georges Perros, dont l'univers, comme Henri Calet, est proche de celui de Miossec.
Ses textes sont l'occasion de citer, de s'inspirer d'écrivains qu'il apprécie comme Raymond Carver, pas étonnant non plus de le retrouver dans son panthéon littéraire.
Après L'étreinte, dont la pochette est signée de l'artiste brestois Paul Bloas, sort le Brest of, accompagné d'un dvd live.
Finistériens est un aboutissement, Miossec se dépasse musicalement, pousser par Yann Tiersen, il ne se contentera plus seulement de faire des démos. Contrairement à Thierry Jourdain qui trouve que l'album est proche de l'univers de Yann Tiersen, je trouve au contraire que c'est un très bon album de Miossec
Chansons ordinaires sonne résolument plus rude que tous les autres albums. Il choisit de travailler avec l'équipe de Dominique A pour l'enregistrement, producteur et musiciens. Là encore la littérature est très présente dans les textes, Georges Perros encore, Robert McLiam Wilson, André Gide, etc. L'enregistrement se fait presque live, les musiciens improvisent sur les ébauches de Miossec, qui écrit les textes en même temps. La tournée se fera avec Cocoon comme backing-band, Dominique A enregistre un nouvel opus.
Les comandes de textes sont toujours nombreuses, avec des artistes aussi divers que Mass Hysteria et M Pokora. Johnny Halliday toujours. Et en point d'orgue, Juliette Gréco, collaboration dont Miossec est le plus fier.
Il joue son propre rôle dans L'air de rien, agréable film mettant en scène Michel Delpech, dans son propre rôle également. Il a un rôle dans Les salauds de Claire Denis à la même période. Curieusement le sujet du cinéma, même mineur, n'est pas du tout abordé dans le livre.
Le disque suivant Ici-bas, Ici-même, se fera les mêmes conditions que le précédent. Pour l'enregistrement Miossec fait appel à une équipe réduite, dont Albin De La Simone ; et tournera avec un groupe de cinq autres musiciens. C'est sur cette tournée que va naître Mammifères, fruit de la rencontre avec Mirabelle Gilis.
Si l'album sort en 2016, il se construit sur les routes lors d'une tournée de petites salles à partir de l'été 2015. La tournée continue jusqu'en 2017 avec l'enregistrement du premier véritable album live : Mammifères Aux Bouffes du Nord. L'auteur élude le sujet, mais un incident marque la rupture avec l'accordéoniste du groupe qui part à quelques dates de la fin. Il n'est pas sur le live.
 Enfin, dernier en date, Les rescapés, toujours avec Mirabelle Gilis et d'autres musiciens, ne fait que confirmer l'importance de Miossec dans le paysage musical actuel.
 L'auteur brosse un portrait très complet, humain, de Miossec, à partir des heures d'entretiens qu'il a accumulées. Sa méthode chronologique permet de bien mettre en valeur la progression musicale. Surtout il s'attache à son sujet : la musique. Au sujet des textes, il est étonnant de voir que les thèmes ont peu changé, le couple, la médiocrité et le fragilité masculines, la souffrance populaire, et que la source n'est pas tarie pour autant, la qualité ne fait que très rarement défaut.

 Thierry Jourdain est un auteur prolifique puiqu'il a fait paraitre chez le même éditeur Elliott Smith, Can't Make A Sound en novembre 2018, plusieurs livres au Camion Blanc : Bruce Springsteen, from the darkness to the river 1977-1980 en 2017 préfacé par Laurent Chalumeau ; Chokebore, Days Of Nothing en février 2019 ; Slowdive, Catch The Breeze en octobre 2019. Ce Miossec, Une Bonne Carcasse sort donc en pleine effervescence éditoriale, d'autant qu'un titre est en préparation pour les Editions Densité.
Il est aussi à la tête du label et du fanzine Equilibre Fragile basé à Rouen, dont un numéro est consacré à Miossec, parmi les autres couvertures on trouve Domnique A, les dessinateurs de L'Association , etc.
Il est responsable des affaires culturelles de la commune du Grand-Quevilly.

Le lien vers Équilibre Fragile : https://equilibrefragilerecords.bandcamp.com/

Une interview de l'auteur à propos de Miossec, Une Bonne Carcasse : https://www.soul-kitchen.fr/93586-christophe-miossec-par-thierry-jourdain

Paul Bloas et Serge Teyssot-Gay, peinture et musique à Madagascar :



Pour finir une belle reprise :


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