samedi 1 septembre 2018

CURED de Lol Tolhurst (Machete83)


De questionnements adolescents dans la petite ville de Crawley jusqu'à des remises en question de milieu de vie dans le désert de Mojave, voici en mots le parcours singulier de Laurence « Lol » Tolhurst, batteur puis clavier puis souffre douleur du groupe The Cure, de 1976 à 1989.

On l'avait un peu oublié, Lol. On l'avait revu brièvement lors des concerts donnés en 2011 pour fêter les 30 ans de l'album Faith, mais au-delà de la cérémonie d'anniversaire, l'aventure avec The Cure ne semblait pas être allée plus loin. Sauf que si Lol a quitté The Cure, The Cure ne l'a jamais vraiment quitté. Plus qu'un groupe de Rock, c'est pour lui (ainsi que pour de nombreux fans) une histoire, un état d'esprit, une manière d'aller dans la vie... C'est ce qu'explique entre bien d'autres choses cette sorte d'autobiographie, ce récit d'un chemin intérieur plutôt qu'une interprétation personnelle d'une histoire Rock. Sorti en 2016, Cured est pourtant encore autre chose : il peut être vu comme une explication aux fans, une lettre sincère d'excuse pour les malheureux événements allant de la seconde moitié des années 80  au milieu des années 90,dont il fut à la fois bourreau et victime.


Et tout comme son jeu de batterie ou au clavier, l'écriture est simple, épurée et là encore, par une sorte de miracle, elle fait merveille.
Bien que faisant face à des démons intérieurs du début à la fin, pas ou peu de place ici pour l'expressionime brûlant dont son groupe a été l'étendard au début de sa carrière. Cet homme abîmé par la vie et par ses erreurs revient avec modestie, humilité et une douce bienveillance. Marqué, Lol Tolhurst regarde les fans dans les yeux, justifie ses écarts sans s'en dédouaner.

Celui qui voudrait y découvrir des secrets de fabrication de chansons, des anecdotes inédites pourrait être légèrement déçu. Tolhurst en raconte certes quelques unes, mais au fur et à mesure de ce chemin intérieur, elles y ont finalement peu de place. Et pourtant, le fan de The Cure tiendra ici la meilleure version de l'histoire de ce groupe (du moins durant le temps où Tolhurst y a officié). Et puis, qui de plus légitime que Tolhurst pour raconter cette histoire ? Le fan saura pertinemment que le batteur aux cheveux bouclés a lui aussi de la ressource littéraire, différente de celle de Smith, mais personne n'attend vraiment un livre signé par Simon Gallup ou Porl Thompson. Finalement, cette confession n'est pas vraiment une surprise, il fallait qu'elle arrive, elle était naturellement destinée à être. 40 ans après la formation du groupe, on a effectivement l'impression que pour le principal concerné, cette vie prend forme, elle a un sens. Il y a l'importance de faire partie de quelque chose, que ce soit un groupe de Rock ou non, d'avoir un lien. Ce lien passera évidemment par Robert Smith, le copain d'enfance, le leader naturel admiré. Durant tout le livre, Tolhurst l'observe avec un profond respect et une amitié indéfectible, peu importe les querelles passées.

On se dit que la vie était quand même facile pour le Smith : beau gosse impertinent du lycée, choyé par ses parents et frères et sœurs, famille disposant de moyens, en plus d'avoir trouvé l'amour de sa vie dès l'âge de 15 ans. Ca stabilise quand même un minimum au départ, même si comme le dit Tolhurst, le gars sait instinctivement marcher sur le fil en toutes circonstances. Et Tolhurst, délaissé par son père, élevé dans un contexte franchement plus austère et beaucoup moins idéal, cherchera alors sa survie dans les comportements extrêmes à sa portée dans une petite ville de banlieue, soit l'alcool et les filles faciles.
Contrairement à Andrew Fletcher de Depeche Mode qui aurait pu subir le même sort s'il n'avait pas pour lui des qualités de diplomate et de gestionnaire, Tolhurst ne disposait pas vraiment d'autres compétences pouvant le maintenir à flot dans The Cure alors que celui-ci devenait de plus en plus important. Se perdant dans les incidents éthérés, rongés par les remords et détruit par une vie qui a été loin d'être facile, le succès a consumé celui qui a longtemps été considéré comme le petit n°2 du combo de Crawley (la place reviendra logiquement à Simon Gallup par la suite, plus beau gosse pour les caméras et les appareils photos, et avant tout amenant une présence sur scène et une vraie contribution musicale). Limogé par Smith en 1989, la suite ne sera qu'une parodie Grand-Guignol des pires cirques du Rock, avec procès et trahisons fratricides.

Un nouveau chemin de vie commencera alors pour Lol, après avoir tout perdu (le fameux procès contre Smith et Parry, sa femme de l'époque et on imagine bien d'autres choses encore...), il tentera de former un autre groupe avec Gary Biddles, lui aussi faisant partie de l'entourage du groupe à Crawley, sans succès. Une longue errance, un voyage initiatique comme alors... Fuyant la grisaille de l'Angleterre, Tolhurst s'exile en Californie, tente de redonner du sens à sa vie. Comme des héros Lynchiens désabusés, il fait des balades dans le désert, va dans des Motels et Diners pour se retrouver en lui-même, pour tenter de rencontrer une quelconque transcendance qui pourrait le sauver une bonne fois pour toutes.

Ce livre est donc un parcours pour trouver la paix. Une paix à faire avec lui-même, avec les fans de The Cure et Robert Smith. Une fois cette littérale et figurée traversée du désert, Tolhurst remet de l'ordre dans sa vie, il rencontrera Cindy Levinson avec qui il fondera un foyer et un groupe. Petit à petit, il reconstruira sa vie avec une nouvelle force, celle d'un homme ayant tout perdu mais décidé à enfin s'accepter et à faire amende honorable avec le destin et le reste du monde.

Tous ces événements sont racontés avec style, malgré les déboires jalonnant le parcours de Tolhurst, l'ironie, le second degré et l'humour ne sont jamais loin, comme pour prouver que bien après son éviction, Lol incarne encore et toujours à sa manière l'esprit « The Cure », entre tourments dévastateurs et iconoclasme pour mieux en guérir. De cette manière, Cured est un livre indispensable pour les afficionados du groupe et un témoignage singulier et rafraîchissant dans son écriture quant à l'exercice souvent pompeux des histoires Rock.

Machete, Xsilence.net


Crédits : Laurence A. Tolhurst, Quercus Editions pour la version originale, 2016

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