De
questionnements adolescents dans la petite ville de Crawley jusqu'à des remises
en question de milieu de vie dans le désert de Mojave, voici en mots le
parcours singulier de Laurence « Lol » Tolhurst, batteur puis clavier
puis souffre douleur du groupe The Cure, de 1976 à 1989.
On
l'avait un peu oublié, Lol. On l'avait revu brièvement lors des concerts donnés
en 2011 pour fêter les 30 ans de l'album Faith, mais au-delà de la
cérémonie d'anniversaire, l'aventure avec The Cure ne semblait pas être allée
plus loin. Sauf que si Lol a quitté The Cure, The Cure ne l'a jamais vraiment
quitté. Plus qu'un groupe de Rock, c'est pour lui (ainsi que pour de nombreux
fans) une histoire, un état d'esprit, une manière d'aller dans la vie... C'est
ce qu'explique entre bien d'autres choses cette sorte d'autobiographie, ce
récit d'un chemin intérieur plutôt qu'une interprétation personnelle d'une
histoire Rock. Sorti en 2016, Cured est pourtant encore
autre chose : il peut être vu comme une explication aux fans, une lettre
sincère d'excuse pour les malheureux événements allant de la seconde moitié des
années 80 au milieu des années 90,dont
il fut à la fois bourreau et victime.
Et
tout comme son jeu de batterie ou au clavier, l'écriture est simple, épurée et
là encore, par une sorte de miracle, elle fait merveille.
Bien
que faisant face à des démons intérieurs du début à la fin, pas ou peu de place
ici pour l'expressionime brûlant dont son groupe a été l'étendard au début de
sa carrière. Cet homme abîmé par la vie et par ses erreurs revient avec
modestie, humilité et une douce bienveillance. Marqué, Lol Tolhurst regarde les
fans dans les yeux, justifie ses écarts sans s'en dédouaner.
Celui
qui voudrait y découvrir des secrets de fabrication de chansons, des anecdotes
inédites pourrait être légèrement déçu. Tolhurst en raconte certes quelques
unes, mais au fur et à mesure de ce chemin intérieur, elles y ont finalement
peu de place. Et pourtant, le fan de The Cure tiendra ici la meilleure
version de l'histoire de ce groupe (du moins durant le temps où Tolhurst y a
officié). Et puis, qui de plus légitime que Tolhurst pour raconter cette
histoire ? Le fan saura pertinemment que le batteur aux cheveux bouclés a
lui aussi de la ressource littéraire, différente de celle de Smith, mais
personne n'attend vraiment un livre signé par Simon Gallup ou Porl Thompson.
Finalement, cette confession n'est pas vraiment une surprise, il fallait
qu'elle arrive, elle était naturellement destinée à être. 40 ans après la
formation du groupe, on a effectivement l'impression que pour le principal
concerné, cette vie prend forme, elle a un sens. Il y a l'importance de faire
partie de quelque chose, que ce soit un groupe de Rock ou non, d'avoir un lien.
Ce lien passera évidemment par Robert Smith, le copain d'enfance, le leader
naturel admiré. Durant tout le livre, Tolhurst l'observe avec un profond respect
et une amitié indéfectible, peu importe les querelles passées.
On se
dit que la vie était quand même facile pour le Smith : beau gosse
impertinent du lycée, choyé par ses parents et frères et sœurs, famille
disposant de moyens, en plus d'avoir trouvé l'amour de sa vie dès l'âge de 15
ans. Ca stabilise quand même un minimum au départ, même si comme le dit
Tolhurst, le gars sait instinctivement marcher sur le fil en toutes
circonstances. Et Tolhurst, délaissé par son père, élevé dans un contexte franchement
plus austère et beaucoup moins idéal, cherchera alors sa survie dans les
comportements extrêmes à sa portée dans une petite ville de banlieue, soit
l'alcool et les filles faciles.
Contrairement
à Andrew Fletcher de Depeche Mode qui aurait pu subir le même sort s'il
n'avait pas pour lui des qualités de diplomate et de gestionnaire, Tolhurst ne
disposait pas vraiment d'autres compétences pouvant le maintenir à flot dans The
Cure alors que celui-ci devenait de plus en plus important. Se perdant dans
les incidents éthérés, rongés par les remords et détruit par une vie qui a été
loin d'être facile, le succès a consumé celui qui a longtemps été considéré
comme le petit n°2 du combo de Crawley (la place reviendra logiquement à Simon
Gallup par la suite, plus beau gosse pour les caméras et les appareils photos,
et avant tout amenant une présence sur scène et une vraie contribution
musicale). Limogé par Smith en 1989, la suite ne sera qu'une parodie
Grand-Guignol des pires cirques du Rock, avec procès et trahisons fratricides.
Un
nouveau chemin de vie commencera alors pour Lol, après avoir tout perdu (le
fameux procès contre Smith et Parry, sa femme de l'époque et on imagine bien
d'autres choses encore...), il tentera de former un autre groupe avec Gary
Biddles, lui aussi faisant partie de l'entourage du groupe à Crawley, sans
succès. Une longue errance, un voyage initiatique comme alors... Fuyant la
grisaille de l'Angleterre, Tolhurst s'exile en Californie, tente de redonner du
sens à sa vie. Comme des héros Lynchiens désabusés, il fait des balades dans le
désert, va dans des Motels et Diners pour se retrouver en lui-même, pour tenter
de rencontrer une quelconque transcendance qui pourrait le sauver une bonne
fois pour toutes.
Ce
livre est donc un parcours pour trouver la paix. Une paix à faire avec
lui-même, avec les fans de The Cure et Robert Smith. Une fois cette littérale
et figurée traversée du désert, Tolhurst remet de l'ordre dans sa vie, il
rencontrera Cindy Levinson avec qui il fondera un foyer et un groupe. Petit à
petit, il reconstruira sa vie avec une nouvelle force, celle d'un homme ayant
tout perdu mais décidé à enfin s'accepter et à faire amende honorable avec le
destin et le reste du monde.
Tous
ces événements sont racontés avec style, malgré les déboires jalonnant le
parcours de Tolhurst, l'ironie, le second degré et l'humour ne sont jamais
loin, comme pour prouver que bien après son éviction, Lol incarne encore et
toujours à sa manière l'esprit « The Cure », entre tourments
dévastateurs et iconoclasme pour mieux en guérir. De cette manière, Cured
est un livre indispensable pour les afficionados du groupe et un témoignage
singulier et rafraîchissant dans son écriture quant à l'exercice souvent
pompeux des histoires Rock.
Machete,
Xsilence.net
Crédits : Laurence A.
Tolhurst, Quercus Editions pour la version originale, 2016
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