mardi 4 septembre 2018

Our Noise: The Story of Merge Records By John Cook with Mac MacCaughan & Laura Ballance (Myfriendgoo)

 
Deuxième chronique d’un bouquin pour la terrasse couverte, et deuxième chronique d’un bouquin prêté par un gars d’influenza Records. Après OLivier, c’est Santiagoo qui a décidé de combler une des lacunes de ma culture littéraire.

Merge Records et Superchunk n’ont pas fait l’objet d’un chapitre dans Our Band Could Be Your Life, la bible de l'indie-rocker DIY, puisqu’ils sont arrivés en 1989, c’est-à-dire à la toute fin de la période traitée par Michael Azerrad. Pourtant, ils s’inscrivent dans le prolongement direct de ce mouvement underground : Mac McCaughan et Laura Ballance, les deux fondateurs du label et du groupe, crédités comme co-auteurs de cet ouvrage aux côtés du journaliste John Cook, ne cachent pas les enseignements qu’ils ont pu tirer des expériences Dischord ou Touch & Go. Ils ont même accompli un bon bout de chemin avec ces derniers, qui ont fait office pendant plus de deux décennies de distributeurs pour un paquet de labels indés avant l’avènement du numérique.

Ce récit de la fondation et de la survie d'un label pas comme les autres sonne pourtant comme un Our Band Could Be Your Life 2, mâtiné du style très particulier de Please Kill Me, la jubilatoire somme de témoignages qui retrace la naissance du punk US, du Velvet Underground à l’overdose de Sid Vicious. Ici, le regard de journaliste de John Cook sur cette aventure singulière aide à contextualiser les souvenirs des acteurs de l’époque. Loin d’être hagiographique, cet ouvrage richement documenté décrit les étapes d’un projet qui aura été tout sauf planifié : conçu au départ pour sortir les 45 tours des différents groupes de Mac et de ses potes de Chapel Hill, petite ville universitaire vaguement branchée de la sudiste Caroline du Nord, il devient le vecteur de promotion de Superchunk après que Mac et Laura aient décidé, suprême coquetterie, de se passer des services du pourtant iconique label indé Matador. Superchunk est le produit phare du label jusqu'à l’essoufflement de la vague post-Nirvana, puis se met à vivre de ses découvertes étonnantes et éclectiques à partir de la deuxième moitié des années 90.

Ce sont peut-être les parcours de ces autres artistes qui sont les plus touchants : Matt Suggs, talentueux songwriter lo-fi maudit, co-fondateur de Butterglory, dont les ventes sont restées misérables en dépit d’un talent reconnu par la plupart des observateurs et des critiques ; Jeff Mangum, qui saborde Neutral Milk Hotel après deux albums, effrayé par le succès de son monumental In An Aeroplane Over The Seas ; l’acariâtre Stephin Merritt de Magnetic Fields, qui parviendra contre toute attente à imposer - et à bien vendre - un projet pharaonique, le triple CD 69 Love Songs et son packaging de luxe, et dont le passage sur une major ne lui permettra jamais de renouveler ce succès artistique et commercial ; les naufragés de Spoon, laminés successivement par deux majors pour leurs deux premiers albums, qui avaient quasiment abandonné tous leurs rêves de succès avant de se relancer brillamment sur Merge ; Lambchop, les anticonformistes intimistes de Nashville, qui parviendront à trouver un équilibre financier en ne tournant quasiment qu’en Europe. Et puis bien sûr, la tornade Arcade Fire, recommandée à Merge du bout des lèvres par Howard Bilerman, producteur emblématique de la scène post-rock de Montréal et batteur d’appoint du groupe à l’époque, qui dévaste tout sur son passage, bien aidée par l’effet amplificateur du cyclone Pitchfork. Leur mythique chronique de Funeral figure d’ailleurs dans ce livre.

Ce qui frappe dans cette histoire, c’est le mélange de pragmatisme, de rigueur morale et de refus des conflits qui anime ses héros : ils prennent dans la figure avec candeur tout ce qui peut arriver à un label indé et en sortent à chaque fois un peu plus forts et un peu plus désabusés : les erreurs de jeunesse (l’oubli de provisionner le remboursement des invendus dans les comptes), la rupture amoureuse entre les deux protagonistes, les problèmes d’approvisionnement de leurs plus gros succès ou encore les désertions (Polvo, Trail Of Dead). Chaque disque est un projet autonome et personnalisé et doit trouver tant bien que mal son équilibre, loin des stratégies boursicoteuses des majors qui dépensent des fortunes sur des dizaines de vagues sosies de Kurt Cobain, et espèrent se rembourser quand l’un d’entre eux touchera le jackpot. La crise du disque couve, ces mêmes majors la prendront en pleine face et Merge avec son modèle brinquebalant et artisanal s’en sortira mieux que d’autres. Et c’est finalement Laura, la petite gothique timide qui surprend son monde en imposant sa rigueur managériale et comptable.

Cette passionnante somme, entrecoupée de témoignages de fans (la préface de Ryan Adams est assez drôle, bien qu’un peu surjouée) n’a qu’un inconvénient : à ma connaissance, elle n’a pas encore été traduite en français, et n’est peut-être même pas distribuée par chez nous.  

L’avantage, c’est que si vous le commandez chez Merge Records, vous recevrez un exemplaire dédicacé...

Our Noise: The Story of Merge Records
By John Cook with Mac MacCaughan & Laura Ballance
Published by Algonquin Books

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