Saint Seiya, alias les
Chevaliers du Zodiaque dans l'hexagone est une véritable pierre
angulaire de la culture populaire des enfants des années 80-90. Comme
beaucoup d'indie rockers étaient parmi ces enfants, il n'est pas
étonnant de retrouver des gens que cette série a marqué parmi les
chroniqueurs d'Xsilence. Sans faire de doublon avec Machete, (j'ai déjà
une rubrique sur Exitmusik.fr qui est exclusivement dédiée à ça), je
voulais quand même apporter ma petite pierre à l'édifice. Puisque
lui nous parle plus en détail de la (magnifique) musique de cette série,
je voudrais m'attarder sur ce que cette série nous dit de la musique,
par le biais de ses personnages.
Comme toute oeuvre de fiction,
Saint Seiya délivre des messages. Ceux que les personnages énoncent
explicitement dans la série sur la justice, le sacrifice, l'amitié, la
persévérance, le besoin de se renouveler et d'être inventif (le fameux
"la même attaque ne marche pas deux fois sur un chevalier", que l'auteur
devrait s'appliquer à lui-même), mais aussi ceux qu'ils transmettent
par ce qu'ils sont et font. Seiya, qui cherche toujours à se précipiter
sur un adversaire, un pilier ou un mur pour le briser en intensifiant
son cosmos, nous apprend que la persévérance peut venir à bout d'un (ou
plusieurs) traumatisme crânien. Shiryu du Dragon nous apprend que,
malgré la mode du tatouage, se tatouer exactement sur son point faible
est une connerie. Hyôga du Cygne, toujours tiraillé entre le souvenir de
sa mère et le fait de devoir affronter son maitre ou ses amis, nous
dit qu'il faut être prêt à tuer tous ses amis et à oublier ses parents
pour réussir. Shun d'Andromède, qui se fait toujours sauver la mise par
son grand frère, nous apprend que dans l'adversité, il vaut mieux
laisser tomber et confier les tâches ardues à quelqu'un de plus
compétent. Ikki du Phénix, enfin, nous enseigne qu'il ne sert à rien
d'arriver à l'heure, puisque quelqu'un aura sûrement besoin de vous plus
tard.
Du coup, la présence régulière
de personnages musiciens n'est pas anodine. Surtout qu'ils suivent plus
ou moins le même archétype. Ces personnages sont au nombre de 3,5 :
- Orphée de la Lyre
- Mime de Benetnasch
- Sorrento de la Sirène
Le premier personnage
connait deux incarnations différentes, dont une très anecdotique sur
laquelle nous allons passer très vite : personnage du premier film animé
(Saint Seiya : Jâshin Eris, 1987, rebaptisé en France La Légende De La Pomme D'or), expédié en quelques minutes dans
un combat très classique Andromède-Phénix, son seul intérêt est de
servir de concept graphique à Mime de Benetnasch, qui fera son
apparition presque un an plus tard dans la série.
Mime de Benetnasch est un des
personnages les plus marquants de la saga Asgard, passage inédit du
dessin animé dans lequel les chevaliers d'Athéna affrontent des
personnages inspirés de la mythologie scandinave dans le Grand Nord
(littéralement dans le Grand Nord, on n'aura jamais d'indication
géographique plus précise que celle-ci). Une première chose est notable,
son histoire s'étale sur 4 épisodes, ce qui est le combat le plus long
de cet arc narratif, et se découpe en deux parties : Mime affronte Shun
sur 2 épisodes, Ikki lui sauve la mise et l'affronte sur les 2 épisodes
suivants. Comme tous les personnages de cette partie de l'animé sauf un,
Mime a une histoire tragique et un statut de méchant ambivalent. Pour
résumer, il a été adopté et élevé par un bon gros bourrin à l'ancienne
qui n'appréciait pas les penchants délicats de son fils. "Tu serais pas
un peu pédé, des fois, avec tes cheveux longs et ta musique?! Allez,
tiens, une tatane, pour t'apprendre à te comporter comme un homme!" Du
coup, Mime et son papa, c'était pas forcément l'entente parfaite.
Jusqu'au jour ou Mime découvre que le gros bourrin n'est pas vraiment
son père, il a tué ses parents pendant la guerre. Puis, comme ça il
culpabilisait de laisser un pauvre bébé orphelin, parce qu'on a beau
être un gros bourrin on peut avoir un coeur, il l'a adopté et élevé
comme son fils. Notre antagoniste l'a mauvaise, se persuade que le gros
bourrin lui a mis des coups de tatane toute sa vie parce que c'était un
gros méchant, et le tue.
Évidemment, Ikki lui fait sa
thérapie à grands coups de torgnoles et d'illusions du Phénix, et lui
permet de se rendre compte qu'au fond, le gros bourrin était un mec
sympa et attentionné, il l'a même bordé quand il était malade, et que
Mime n'avait pas de raison de le haïr et de le tuer. Enfin, à part le
fait qu'il a quand même tué ses parents, mais c'était la guerre, et de
la légitime défense. Et puis bon, les coups de tatane ça aide à grandir.
Personnage tragique oblige, Mime s'enferme dans son ressentiment
jusqu'à ce qu'il soit trop tard, et c'est dans son dernier souffle qu'il
avoue que, peut-être, il s'est emporté, et qu'il aurait bien aimé être
dans un délire plus peace and love.
La particularité du personnage,
et la raison pour laquelle Shun ne réussit pas à le vaincre (hormis la
raison méta qui est que les scénaristes de la série n'utilisent Shun que
comme un prétexte à mettre en scène Ikki), c'est qu'il ne dégage aucune
animosité. En gros, sa musique et son coeur sont tellement purs qu'il
ne peut être considéré comme un ennemi, la chaîne d'Andromède ne peut
donc pas l'attaquer et Shun qui n'est au fond qu'un hippie pacifiste
refuse de mener le combat contre quelqu'un qui est manifestement si bon.
Retenez ça.
Je me demande personnellement comment quelqu'un qui a toute une vie de rancoeur accumulée autour du meurtre de sa figure paternelle peut ne dégager "aucune animosité", mais c'est une autre histoire.
Je me demande personnellement comment quelqu'un qui a toute une vie de rancoeur accumulée autour du meurtre de sa figure paternelle peut ne dégager "aucune animosité", mais c'est une autre histoire.
Sorrento de la Sirène n'a pas
deux incarnations, mais son utilisation varie un peu entre le manga et
l'animé. Général de Poséidon, son rôle est dans les deux cas d'annoncer
un nouvel arc narratif en défonçant un personnage de l'arc précédent
pour montrer combien il est fort. Dans le manga, c'est Aldébaran du
Taureau qui s'y colle, comme à son habitude. Car pour montrer qu'un
nouvel ennemi est fort, les auteurs du manga comme de l'animé lui font
systématiquement péter la gueule au chevalier du Taureau, qui est grand
et costaud, et donc visiblement très fort lui-même. Le problème, c'est
que comme tout ce que le spectateur ou lecteur voit de ce personnage,
c'est qu'il se fait tout le temps péter la gueule, ça lui fait perdre
tout charisme et tout impact. Dans le dessin animé, Sorrento affronte
Siegfried, obligé de se sacrifier pour en venir à bout, ce qui a une
autre gueule.
Personnage annonciateur, donc,
Sorrento est au départ traité uniquement comme un méchant : il sert
Poséidon, Poséidon vient foutre la merde et Sorrento vient buter des
gens pour montrer qui est le patron. Bien sûr, une flûte traversière,
c'est moins classe qu'un flingue, mais quand elle permet de tuer les
gens qui l'écoutent même s'ils se crèvent les tympans, ça fait le
boulot.
Par la suite, il affronte Shun
alors que le climax de l'arc narratif se déroule en simultané, un bon
moyen de faire perdre un évènement en intensité dramatique. Quoi qu'il
en soit, il rencontre Shun au pied de son pilier et le combat prend
place, même si on se fout un peu maintenant de savoir s'ils vont péter
tous les piliers où non. Dans le dessin animé, 2 minutes sont perdues
pour expliquer comment Sorrento a survécu au sacrifice de Siegfried en
mode ultime dragon, mais à part ça, ils se rentrent dans le lard assez
vite. Contrairement aux personnages d'Asgard, on n'apprend rien de
particulier sur le passé de Sorrento, pas de conflit intérieur ou de
passé difficile qui explique son apparente méchanceté, mais on a le
droit à un refrain familier. Alors que Shun est plus ou moins en train
de lui botter le cul sévère à base de tempêtes nébulaires (n'oublions
pas que dans le manga, le chevalier d'Andromède est badass à sa
manière), il implore Sorrento de cesser le combat pour ne pas avoir à le
tuer. Son prétexte : "ta musique est tellement pure que tu a forcément
un bon fond". Ça me dit quelque chose...
Sorrento refuse de se rendre et
se prend donc une grosse tempête nébulaire dans la gueule, mais Shun se
retient pour ne pas que ce soit fatal et, chose rare, il est le seul
personnage de cet arc narratif a connaitre une rédemption qui ne passe
ni par la mort, ni par un coup de trident dans le ventre. Car le
chevalier d'Andromède a vu juste : c'est un bon gars, comme le prouve le
fait qu'il joue super bien de la flûte traversière. Même si,
d'habitude, ça tue des gens. Et pour parachever sa rédemption, l'ex
général de la Sirène fait la moral à Kanon des Gémeaux, le grand méchant
de cet arc narratif, et accompagnera Julian Solo, libéré de la
possession de Poséidon, pour qu'il dépense sa fortune en oeuvre de
charités.
Orphée de la Lyre arrive dans
le manga en 1989, à un moment où l'auteur n'en a plus rien à foutre.
Enfin, il aime toujours Saint Seiya, mais il ne sait plus quoi faire
pour que l'engouement des lecteurs ne reprenne. L'adaptation animée de
la série n'a pas été renouvelée, le dessin animé s'étant arrêté en avril
de la même année, et Kurumada sent donc que c'est un peu la fin des
haricots pour sa série, et ça se ressent dans les faiblesses
scénaristiques, les intrigues expédiées, et les blagues de prout que se
permet de faire l'auteur. Vous avez bien lu. Ils ont eu la décence de
couper ce passage what the fuck et très gênant dans l'adaptation de la
saga Hadès qu'ils feront plus de 10 ans plus tard.
Du coup, le personnage d'Orphée
est très peu développé, même si plus que sa contrepartie filmique, et a
pour seul background l'histoire très résumée du personnage
mythologique. En gros, sa bien-aimée Eurydice meurt, il va en enfer la
rechercher, passe un pacte avec Hadès ému par le son de sa lyre; s'il
peut ramener Eurydice hors du monde des morts sans se
retourner, alors elle reviendra à la vie. S'il se retourne, elle se
changera en statue et lui restera à jamais dans le monde souterrain.
Évidemment, tragédie oblige, Orphée se retourne à la dernière minute. Le
seul ajout de Kurumada, c'est le rôle du personnage de Pharaoh du
Sphinx, cliché égyptien et pur méchant orangina rouge qui est
responsable de l'échec d'Orphée. En effet, ce dernier jaloux du talent
d'Orphée (et aussi sur les instructions d'Hadès qui est aussi un méchant
orangina rouge dans Saint Seiya), utilise un miroir pour reproduire la
lumière du soleil alors que le couple est encore dans le monde des
morts. Évidemment, ce gland d'Orphée aurait pu attendre d'être DEHORS
pour se retourner en disant à Eurydice "Regarde, le soleil, on y est
presque!", mais ça c'est une autre histoire.
Pharaoh est d'ailleurs le 4e
personnage musicien de la saga, puisqu'il joue lui aussi de la lyre, en
version égyptienne, et a la particularité d'être UN MÉCHANT musicien, du
coup sa musique est plutôt perçue comme étrange que comme magnifique et
énvoutante comme celle des autres. À part ça, Orphée est montré comme
chevalier assez balèse, qui réglera vite-fait son compte à Pharaoh en
apprenant la supercherie, se révoltera contre Hadès en venant en aide
aux chevaliers de Bronze (car oui, c'est un chevalier d'Athéna mais qui
se fout un peu de tout ça depuis qu'il est enfermé dans le monde des
morts) et se fera vite régler son compte par le gros méchant badass de
la saga, Rhadamanthe. Un personnage narrativement peu utile et trop
peu intéressant pour vraiment marquer les esprits, mais qui a le mérite
de sortir un peu du stéréotype du personnage musicien.
On voit donc que Kurumada (et
les auteurs de la série tv) transmettent deux messages principaux sur la
musique. Le premier, c'est que la musique a des capacités de
transcendance assez unique : la lyre de Mime peut complètement désarmer
la chaine nébulaire, la flûte de Sorento touche au plus profond les gens
qui l'entendent en atteignant directement leur cerveau sans passer par
la case tympan (ce qui physiquement n'est pas impossible, le son étant
une vibration on pourrait imaginer que les vibrations puissent atteindre
directement le cerveau sans qu'on les perçoive de façon auditive), la
lyre d'Orphée émeut Hadès et le chant d'Athéna atteint le coeur même de
ce qui l'entende, leur redonnant espoir par sa bienveillance (là, en
revanche, c'est physiquement compliqué d'imaginer qu'elle puisse chanter
alors qu'elle est en train de se noyer dans un pilier de Poséidon, mais
c'est poétique). Le second, c'est que la musique est un reflet de l'âme
et qu'une musique belle ne peut qu'être exécutée par quelqu'un de
profondément bon, même si comme souvent dans le shônen manga dramatique,
les personnages "profondément bons" peuvent être du mauvais côté du
récit et accomplir des actes profondément discutables moralement. Mais
ils n'aiment pas ça et finissent par se repentir, alors ça va.
Pour le premier message, je
pense que tout amateur de musique, a fortiori s'il est capable de
rédiger des articles entier sur des sujets musicaux futiles, sera
d'accord : la musique nous procure effectivement des émotions uniques et
va chercher au plus profond de nous-mêmes. Pour le second message,
j'imagine que Masami Kurumada n'a jamais entendu parler de Billy Corgan
ou Gary Glitter.
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