Lomax. Drôle de nom.
C'est Alan Lomax, et son père John, et
d'autres. Deux personnages tout à fait réels mis en dessin par Frantz
Duchazeau. Et surtout deux personnes essentielles, des «personnes sans
qui...».
On connaît Edward Curtis et son œuvre
photographique, un monde perdu. La famille Lomax, c'est la musique. Les Lomax
ont parcourus les USA, du matériel entassé dans le coffre de la Ford,
missionnés par la Bibliothèque du Congrès, ils ont enregistrés un nombre
incroyable de musiciens traditionnels. Le père a commencé en 1910 avec les
cow-boys ; puis avec Alan en 1933, ils sont partis vers le sud à la
rencontre des bluesmen. C'est grâce à eux que ce blues des origines brille toujours
au firmament.
Le dessin noir et blanc de Frantz
Duchazeau : ses personnages aux yeux toujours très expressifs ont des
allures fantomatiques, des pantins, comme si la case tremblait à cause de leurs
mouvements désarticulés. Les ombres ont un grand rôle, elles rendent parfois le
dessin comme négatif photographique, et renforcent cet aspect mystérieux.
L'histoire racontée dans Lomax débute
en 1933 dans le sud profond, en pleine ségrégation. Deux blancs qui cherchent
des musiciens noirs c'est louche dans ces coins reculés, arriérés.
On assiste à des rencontres, réelles, entre
les Lomax et des musiciens, parfois passés à la postérité comme Guitar Slim,
un débutant dans le livre, ou Son House, surpris de voir des blancs lui
parler poliment de musique et lui proposer un enregistrement.
L'auteur nous dessine sur quatre pages la
chanson «Staggolee» (ou Stagger Lee, ou Stack'O Lee), repris par un grand
nombre de musiciens, tels que Louis Armstrong, W.C.Handy, Bob Dylan, Nick Cave,
les Black Keys et brillamment racontée et désossée par Greil Marcus dans
Mistery Train.
Les Lomax multiplient les problèmes avec
les propriétaires de champs de coton et avec les polices locales, tous
magistralement portraiturés dans leur laideur par Frantz Duchazeau.
La
rencontre avec Leadbelly se passe en prison, les Lomax ont eu un
renseignement sur cet incontournable bluesman, chanteur et guitariste à douze
cordes. Grâce à eux Leadbelly est libéré et enregistrera des centaines
de morceaux. A ce jour son inventaire est toujours en cours.
Ce n'est pas dans le livre,mais important
pour l'histoire du rock, ce sont les Lomax qui ont convaincu Muddy Waters
de se lancer dans une carrière professionnelle.
Avec une grande économie de moyen, encre
noire, blanc des feuilles, ombres, Frantz Duchazeau nous raconte
l'histoire des noirs ruraux, des prisonniers, des blancs échappés de romans de Faulkner.
Il n'en dessine jamais trop, il suggère, c'est à nous de comprendre.
John, le père, décède en 1948. A cause du
maccarthysme, Alan vient en Europe continuer son œuvre en enregistrant
différents folklores : espagnols, irlandais, etc. A son retour en 1959, il
devient producteur, manager de nombreux bluesmen, dont Leadbelly, Sonny Boy
Williamson, et d'autres. Il sort un grand nombre de livres, essais de musicologie,
recueils de chansons, mémoires.
Il existe des dizaines de CD reprenant les
travaux des Lomax, en Amérique et ailleurs, publiés sous le nom d'Alan Lomax
Collection.
En français, il existe une édition des
mémoires d'Alan Lomax, Le pays où naquit le blues, 600 pages avec un CD,
publié en 2012, et traduite par Jacques Vassal, un connaisseur, un
passeur.
Un documentaire par Rogier Kappers, Lomax
The Songhunter existe en DVD.
Bess Lomax Hawes,
fille de John et sœur d'Alan, a aussi contribué à l'histoire musicale, en
enseignant la musique, en jouant sur quelques enregistrements avec Pete Seeger,
Woody Guthrie, en se produisant sur scène.
John Lomax Jr, frère d'Alan et Bess, a lui aussi participé au
travail d'enregistrement et de classement.
La préface de Lomax est signée Sébastien
Danchin, musicien, producteur, biographe, encyclopédiste, journaliste,
programmateur de concerts et de festivals, parmi d'autres activités en rapport
avec la musique en général, et le blues en particulier. Une pointure.
Frantz Duchazeau
est l'auteur d'une bonne quinzaine de bandes dessinées. Dont Meteor Slim,
histoire imaginaire d'un bluesman des années 30, une histoire à la Robert
Johnson. Dans Blackface, il raconte la vie d'un danseur unijambiste
noir, roi du banjo, à la fin du XIXème dans le milieu des Minstrels Shows. Avec
La Main Heureuse, album plus ou moins autobiographique, il met en scène
deux fans de la Mano Negra dans l'Angoulême des années 90.
Enfin, dans Le Diable Amoureux il
s'amuse avec Georges Méliès, un autre pionnier.
Un petit documentaire en anglais qui
présente le travail des Lomax. Quelques images d'archives où on les voit
enregistrer.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire