Ce David Bowie : Rainbowman est une
biographie musicale, on y parle donc de musique. Sauf à de rares exceptions,
toujours justifiées par l'auteur, on n'y parle pas de drogues, d'alcool, de
sexe, ou d'autres excès. Les amateurs de ce genre de détails croustillants
peuvent passer leurs chemins.
Ensuite un album par chapitre et une construction
commune. La première page est une photo avec une mise scène en noir et blanc
de l'album avec des objets significatifs de la période, une carte postale de
l'hôpital de Cane Hill pour The Man Who Sold The World, un 45T des
Easybeats pour Pin Ups, etc. Sur la deuxième page le titre de l'album,
et si il y a lieu les live, les albums produits pour Iggy Pop, etc ; une
citation extraite de la liste des lectures recommandées par Bowie (Flaubert,
Isherwood, Lampedusa,...) ; puis un extrait plus ou moins long d'interviews de
l'artiste.
Le texte de Jérôme Soligny, de longueur variable,
agrémenté de reproductions photographiques de très bonne facture, les notes
en fin de chapitre, avec pour dernière page un dessin original à l'encre de
Lisa et Margaux Chetteau. La lecture se poursuit sur des pages mauves/violettes
où figurent les très nombreux témoignages, là encore la longueur est
variable, les notes à la fin.
Chaque chapitre est une mine d'informations, quiconque
est intéressé par la musique de David Bowie y trouvera son compte. Tout est
détaillé, le choix des musiciens, des producteurs, des studios, le
déroulement des tournées, les séances photos, les costumes, etc. Jérôme
Soligny est avant tout musicien, c'est en tant que tel qu'il écrit et décrit
précisément les séances d'enregistrements, les techniques utilisées. Le
portrait de l'artiste laisse aussi de la place à l'homme David Bowie, que
Jérôme Soligny a rencontré à plusieurs reprises. Ces entretiens avec Bowie
et d'autres nourrissent ce texte riche et de lecture agréable.
Le portrait de David Bowie semble objectif. S'il est
la plupart du temps timide, courtois, poli et charmant, il est des passages où
ce n'est pas le cas. C'est une des qualités de ce livre, il n'est pas celui
d'un fan transi d'admiration aveuglante, mais d'un passionné de musique,
lucide. Notamment sur une tournée où les rapports musiciens/manager/artiste
sont loin d'être exemplaires, ou parfois sur son comportement en studio. Par
contre, l'homme travailleur laborieux, le musicien créateur sont toujours
présents. On apprend comment Bowie, en s'appuyant sur le travail des
musiciens, producteurs, ingénieurs, sculpte sa pâte musicale pour en faire
œuvre, comme un alchimiste transmue le plomb en or.
On rencontre beaucoup de monde dans ce livre. Chacun
est resitué, rapidement ou en détail, pour savoir de qui on parle.
Un paragraphe décrit Corinne « Coco » Schwab,
l'assistante personnelle de Bowie, omniprésente, mutique, et si importante.
Les évidents Iggy Pop et Lou Reed, ce dernier
apparaît quelquefois, rarement à son avantage.
Ceux qui sont les plus importants pour la musique ne
sont pas en reste, bien au contraire et tout à l'honneur de l'auteur. En
effet, chaque musicien ou technicien, d'un jour ou de plusieurs années, est
présent, son rôle est décrit méticuleusement. Hommage est rendu à toutes
ces personnes qui ont contribué à la création de la musique de Bowie, pas
seulement Tony Visconti ou Brian Eno ; les musiciens de sessions, de tournées
ou de passages, les ingénieurs du son maison, le comptable du studio ou le
photographe, etc, ne sont pas reportés en note en bout de chapitre.
Une très bonne idée de Jérôme Soligny a été de
faire figurer à la fin de chaque chapitre des témoignages. Ces parties sont
un complément et surtout un véritable enrichissement pour le livre car ces
pages ne répètent pas le propos de l'auteur. Environ trois cents personnes
ont apporté leurs contributions, la plupart directement, quelques-uns ont
autorisé l'auteur a reproduire une partie de texte d'un livre ou d'une
interview parce qu'ils n'avaient rien à ajouter. Cette foison de témoignages
dresse un portrait de l'époque, du contexte musical, de la musique de Bowie,
de David Bowie lui-même. Toutes ces personnes l'ont approché, plus ou moins
longtemps, d'une séance de studio ou de tournées entières. Egrener des noms
obligerait à trier, et ce n'est pas possible car ils ont tous (ou presque) un
intérêt. Réunir un tel nombre de personnes pour ce livre doit représenter
un travail de titan. Il est nécessaire d'ajouter que cette polyphonie n'est
pas hagiographique.
Avec les textes de l'auteur, augmentés des
témoignages, on a affaire à un authentique ouvrage d'histoire musicale,
l'évolution de David Bowie sur ces treize années est fulgurante, il n'a que
20 ans en 1967 et sait déjà où il veut aller ; Low sort au moment de
ses 30 ans, sa carrière est phénoménale. Ses apports à la musique sont
déjà extraordinaires.
Le livre est aussi un manuel d'histoire des techniques
d'enregistrement et de mixage tant l'auteur dissèque ce qui se passe en
studio. On voit l'évolution des consoles, les bidouillages, on parle encore de
ciseaux et de colle pour le mixage, etc. Toutes les parties de guitare de
Robert Fripp sont détaillées par exemple. Cependant, cela reste tout à fait
lisible pour un non- musicien. On apprend également les différences de mœurs,
d'habitudes et de règles de travail des musiciens entre l'Europe et les
Etats-Unis.
Les costumes et la mode, l'art, la photo ne sont pas
oubliés. David Bowie l'artiste complet.
Tout le monde connaît Jérôme Soligny, journaliste à
Rock'n Folk. C'est l'arbre qui cache la forêt. Notre auteur est également, et
en premier, auteur-compositeur de plusieurs disques, avec de belles
participations comme Mike Garson ou Tony Visconti ; compositeur et/ou auteur
pour entre autres Dani, Valli, Lio, Les Filles (Rêves de filles en 1983),
Etienne Daho (Duel au soleil, La baie…) avec qui il a sorti un livre sur
Françoise Hardy, producteur et/ou arrangeur avec Marc Minelli et les
Innocents, et d'autres. Il est aussi compositeur de musiques de film, ou de
musique événementielle. Il a participé à Strings of the storm
d'Elliott Murphy. Traducteur : l'autobiographie de Tony Visconti, tous
les textes de l'exposition David Bowie Is. Romancier : Je suis mort
il y a vingt-cinq ans. Ses articles, interviews, chroniques rock sont
réunis dans un beau volume : Writing on the edge 25 ans d'écrits rock.
La liste est loin d'être exhaustive.
Une première biographie sur David Bowie est sortie en
1985, puis remise au goût du jour en 1996 et 2002.
Un mot sur le livre en lui-même. Beau volume avec une
couverture à larges rabats, David Bowie bleu/violet sur le recto, la liste des
témoins au verso. Des cahiers cousus collés, un très beau papier couché
très agréable à la main. Les reproductions photographiques sont de très
bonne qualité, idem pour les dessins. C'est proche du livre d'art et très
confortable. Un bémol pour les notes des parties de témoignages : trop
petites sur les pages violettes pour mes yeux, j'ai parfois eu du mal à les
lire.
Pour finir cette chronique, David Bowie :
Rainbowman (complété par Ouvre Le Chien, voir la chronique
précédente sur le blog) est, avec sa foultitude de détails, un monstre
d'érudition savante, agréable à la lecture. Non seulement il m'a donné
envie de tout réécouter, avec une oreille renouvelée, mais surtout j'attends
la suite !
la véritable naissance d'Aladdin Sane
un titre de Jérôme Soligny
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