Entre le roman et le rock l'histoire n'est pas nouvelle, récemment Olivier Hodasava dans Janine racontait la fin de WC3, plus avant Don Delillo dans Great Jones Street inventait la vie d'un musicien hybride de Bob Dylan-Jim Morrison-Neil Young, Peter Guralnick a fait de même dans Nighthawk Blues avec un bluesman. Sans oublier évidemment les britanniques Nick Hornby, Geoff Dyer et Irvine Welsh. Avec Stéréo Antoine Philias évolue dans une catégorie proche de ces derniers, il se sert de la musique comme d'un décor sur lequel il tisse son histoire et la vie de Nina et Arthur. La musique y est le prétexte de leur rencontre, ce qui les fait se parler les premières fois, le rythme de leur vie amoureuse ; pas une page sans un morceau.
Nina et Arthur c'est une histoire d'amour façon lutte des classes : un prolo brestois un peu impulsif qui se débat comme il peut avec la vie sans toujours assumer ses actes, et une rochelaise de bonne famille qui tente de se forger un nom dans le journalisme musical. On voit ce couple d'ados qui essaie de mener une vie amoureuse alors que tout les sépare, la distance géographique, le milieu social, les valeurs, etc. Chaque lecteur retrouvera des fragments de sa propre biographie. Les liens se serrent puis se desserent, se resserrent et se distendent. On voit nos deux personnages grandir, vieillir, ensemble par le corps ou l'esprit, séparés mais jamais loin. Ainsi va le roman jusqu'à la fin au début du nouveau siècle, et dont je ne dévoilerai rien d'autre.
Ce ne pourrait être qu'une banale romance, mais le sel musical qu'ajoute Antoine Philias fait la différence. C'est la seconde histoire d'amour de Stéréo, entre la musique et notre auteur, puisqu'en filigrane c'est une histoire musicale subjective de cette époque, et une histoire de Pavement.
Stéréo : une histoire de Pavement
Passons à l'écriture. Stéréo n'est pas écrit linéairement, Antoine Philias alterne les manières d'écrire. Les pages passent du récit au dialogue téléphonique, chronique d'album romancée, lettres manuscrites avec ces expressions d'adolescents si bien reproduites, je rappelle que l'histoire débute en 1992 : pas de téléphone portable, internet arrive en 1997 et les mails déboulent presque par éffraction dans le roman. Il y a des passages où je me demande s'il ne les a pas écrit à partir de ses albums préférés, le double blanc par exemple, les phrases tournent autour des paroles des morceaux. J'ai cité Geoff Dyer, et c'est précisement La Couleur Du Souvenir que certaines pages m'ont remis en mémoire : des scènes sont indissociables de la musique choisie, comme le sont certains de nos souvenirs, comme des éclairs inoubliables, tout peut revenir en moins d'une seconde aux premières notes d'un titre, tel le retour d'un boomerang en pleine face.
La musique est aussi dans l'écriture. Parfois, au creux d'un paragraphe il aligne de courtes phrases qui ailleurs avec un peu de musique feraient des chansons. Il y a beaucoup de détails, de faits, de jeux de mots,en rapport avec la musique, je ne vais pas tous les décrire mais un est notable et exemplaire. L'histoire d'amour est racontée selon les parutions de Pavement, en 1996 pas de disque alors pas d'histoire. Plusieurs rééditions et compilations sont sorties à partir de 2002, peut-être qu'Antoine Philias a prévu une suite, ou pas.
Fade Into You, un moment sensible de Stéréo
Le roman débute à la gare de Rennes après une soirée des Transmusicales, Antoine Philias semble accorder une certaine importance aux villes et à leurs mythes, un beau passage sur Siam à Brest, aussi juste qu'il est injuste avec Angers. La Rochelle, Nantes, Paris et Brive sont également dans la cartographie de Stéréo.
Enfin, c'est aussi un roman historique des années 90, et c'est dur à écrire quand on a l'âge des deux héros même si j'écoutais plus les Pixies ou Fugazi que Pavement. Historique parce que beaucoup de choses ont changé, ne serait-ce que l'apparition du net et du téléphone portable. Et aussi en musique, qu'est-ce qu'on écoutait, comment on écoutait et découvrait les groupes comme Pavement ou Mazzy Star. Il y a du travail et des recherches.
Une chose est sûre : le roman tient la route, et la relecture. Comme à chaque livre dont j'ai discuté sur ce blog, j'ai d'abord lu une première fois en prenant quelques notes, puis repris le livre une deuxième fois pour la chronique, tout en navigant dans le texte. Je m'y suis bien plu. En plus, un roman qui dès la troisième page cite Karen Dalton est forcément bon !
Ce vingtième livre chroniqué est une première fois. Premier roman solo pour Antoine Philias alias Dylanesque alias Hazel ; et pour ma part, premier roman chroniqué, et première chronique d'un auteur Xsilencieux (et j'espère premier d'une longue série).
Antoine Philias anime Tri Sélectif sur la radio Canal B, est modérateur et contributeur sur Shelter From The Storm le forum français consacré à Bob Dylan, et fait part de ses rencontres avec le fantôme de Johnny Cash sur Xsilence, site collaboratif sur lequel il est déjà fort de plus de deux cents chroniques de Bob Dylan à Lou Reed en passant par Phoenix et Kevin Morby. Il dit préparer une biographie de Bob Dylan en vingt volumes.
Publié aux Editions des Equateurs, Stéréo est son premier roman solo, on peut le retrouver aux côtés d'Alice Zeniter pour Home Sweet Home, roman pour adolescents paru en 2019.
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